Vers
une
«POLARİSATİON
UNİVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME»
dans un
Monde Nouveau. (Un Resume)
World
Assembly for Human Rights March 22 - 27. Montreal -
Canada
Prof.
Dr. Bülent Nuri Esen
La
realisation des Droits de l'Homme depend de facteurs
multiples.
Nous
allons retenir un seul de ces facteurs : le facteur «regime
politique». C'est par rapport au regime politique que
nous allons tâcher de voir la question des Garanties des
Droits de l'Homme.
Pour ne
pas tomber dans le domaine des discussions bien connues
relatives aux conceptions de democratie, nous
prefererons le terme de «Etat de Droit» (Rule of Law).
Dans
les pays oü existe la Primaute du Droit, le mode de
gouvernement consiste dans le systeme representatif. Et,
ce systeme suppose des elections libres avec suffrage
üniversel. C'est la, la condition unique du systeme.
Seulement, il ne faut pas perdre de vue que ce n'est
qu'une condition formelle. Elle en est d'ailleurs la
seule. İl n'y en a pas d'autres. Le systeme de
gouvernement peut se presenter comme parlementaire,
presidentiel ou conventionnel. Ce qui importe, c'est que
la condition originelle du suffrage üniversel soit
remplie. Car, le representant elu detient sa legitimite
de l'operation electorale.
La
question de la garantie des droits de l'homme peut se
presenter surtout au cours de la duree du mandat de
l'elu. Nous sommes ici en face d'un veritable probleme
de Droit Constitutionınel. İl s'agit en effet,
d'executer le mandat parlementaire conformement aux
principes constitutionnels. C'est lâ la condition de
fond de l'Etat oü regne la Primaute du Droit. Car, ce
sont les normes de base de l'ordre constitutionnel qui
determinent le caractere du regime politique. Quand ces
normes correspondent a celles generalement connues et
appliquees par les pays civilises, on est fonde â dire
qu'il s'agit d'un systeme politique oü regne la Primaute
du Droit (rappelons que la Commission Internationale de
Juristes a dejâ donne une definition generale de ce
terme).
Ce qui
importe donc au fond, c'est que l'elu agisse dans les
limites du cadre de la Constitution.
D'autre
part, le regime de gouvernement dans un Etat de Primaute
de Droit ou seulement dans un Etat de Droit presuppose
l'existence d'un systeme multipartite. Par consequent,
les gouvernants ainsi que leurs concurrents se
presentent normalement sous forme de partis politiques.
L'eventeil que forment la multiplicite des partis
politiques est une des conditions essentielles de l'Etat
de Droit democratique.
Si
done, nous sommes en presence d'un tel Etat, la regle a
suivre devra etre la suivante : les representants,
qu'ils soient membres d'un parti politique ou
independants, sont tenus de respeeter et d'observer
strictement les preceptes etablis par la Constitution.
Que la constitution d'un pays soit ecrite ou non ecrite,
la regle reste la meme.
Cette
conelusion nous semble digne de retenir l'attention. En
effet, l'elu, et particulierement, le parti politique
disposant de la majorite legislative, peut penser
qu'ayant remporte les voix du grand nombre des
electeurs, c'est â lui que revient la mission d'exprimer
la volonte nationale et que, par consequent, il est meme
çn mesure de changer le systeme constitutionnel; qu'il
peut etablir un nouveau regime gouvernemental ou agencer
a nouveau le systeme des Droits de l'Homme et des
libretes fondamentales et etablir un nouveau regime des
libertes.
İci
apparaît le noeud de la question que nous nous sommes
proposes d'exposer.
Â
supposer que l'organe legislatif ordinaire soit a la
fois l'organe constituant avec certaines modalites
fixees par la Constitution, dans quelle mesure est-il
possible de modifier le systeme de l'Etat de Droit
consacre par ladite constitution?
Le
parti politique disposant de la majorite suffisante au
sein de l'organe competent est, â nötre avis, lie par
les premisses et les regles regissant la conception des
Droits de l'Homme. C'est-â-dire, par ces droits
eux-memes, leur respect et leur garantie. II ne pourra
done pas se permettre de s'engager dans une voie qui
aboutirait â la destruction ou â une restriction
illegitime des Droits de l'Homme. II tomberait lui meme
dans l'illegitimite.
II
existe, si l'on peut dire, -usant du vocabulaire du
Doyen Roscoe Pound- des (standards) constitutionnels que
tout Etat democratique est tenu de strietement observer.
Ainsi, par exemple, la Constitution des Etats-Unis
interdit au pouvoir legislatif la confection des lois â
effet retroactif. Certaines constitutions, et entre
autres, celle de la Turquie, erigent en principe sacre
la forme republicaine de l'etat ou du gouvernement, ou
encore des deux, et disposent qu'il est meme defendu de
deposer une proposition tendant a la modification de
cette forme.
II
s'ensuit que le Pouvoir Politique est lie de par la
nature constitutionnelle de l'etat â observer et faire
observer des standards definis.
Le
respect et l'observance des droits de l'Homme vient a la
tete de ceux-lâ. Le critere servant de base, soit a
la nomenclature, soit a la nature et a la
definition des Droits de l'Homme, sera celui adopte par
la Declaration Üniverselle ou, dans les cas oü elles
peuvent apporter plus de precision et de elarte, aux
Declarations regionales.
II
s'agit done de prendre en main les textes des
Declarations, et en particulier, celui de la Declaration
Üniverselle des Droits de l'Homme.
C'est
lâ un des aspects de la question. Difficile peut-etre â
resoudre. Car, des considerations politiques peuvent
entrer en jeu et, qui dit (politique), dit (interet);
done, discordance et meme parfois absence de raison.
Un
autre aspect de la question nous semble beaucoup plus
attrayant, sinon important. C'est celui de faire
ressortir les valeurs juridiques respeetives du
phenomene «eleetions au suffrage üniversel » et du
premisse «obligation pour la representation populaire ou
nationale d'observer les standards constitutionnels».
Nous
pensons que le suffrage üniversel est le mode et la
condition formelle du regime politique susceptible de
realiser la Primaute du Droit adoptee et definie par un
systeme constitutionnel determine.
Vu sous
cet angle, le fond du probleme reşide dans la conception
que se fait l'executif de la valeur des standards
constitutionnels, ou, mieux encore, du degre d'honnetete
et du respect qu'il nourrit a l'egard desdits standards.
En effet, si l'executif -qui â nötre epoque possede
effectivement une suprematie- se hasarde a se
considerer comme capable de modifier le systeme de
l'Etat de Droit etabli par la Constitution, la condition
de fond de legitimite gouvernementale risque d'etre
detruite. Le Contrat Social sera rompu. Puisque, le
suffrage üniversel (condition de forme) qui avait ete le
procede legitime pour determiner qui şerait le detenteur
du pouvoir, avait fait son choix en consideration des
standards constitutionnels existants. Le pouvoir
electoral a confie mandat et donne mission aux elus â
condition d'observer les standards constitutionnels. La
legitimite du pouvoir elu depend de la constance du
respect â cette condition.
Dans le
cas ou les constitutions etablissant l'Etat de Droit se
contentent de confier cette mission a l'organe
legislatif ordinaire avec certaines modalites
particulieres tendant a assurer une certaine rigidite,
il peut arriver que le legislatif soit un jour tente de
modifier des normes de base.
Mais,
dans tous les cas, les normes destinees a
l'instauration de l'Etat de Droit ne peuvent etre
abrogees, ni modifiees dans le sens d'un affaiblissement
des garanties des Droits de l'Homme.
Quant â
etablir s'il y a derogation a la condition de fond que
nous venons d'etablir, il faudrait dans chaque cas,
examiner les principes essentiels contenus dans le
systeme constitutionnel en question. II va şans dire que
ces principes seront toujours conformes â ceux enonces
pour le regne de la Primaute du Droit.
Un cas
d'une exceptionnelle gravite est en train de se derouler
en Turquie.
Les
detenteurs du pouvoir politique adoptent dans leurs
agissements parlementaires des comportements
incompatibles avec les principes constitutionnels et
meme contraires aux regles essentielles adoptees par la
constitution.
La
Constitution de la Republique Turque de 1961 a cree un
systeme reposant sur certains piloris fondamentaux. Afin
de realiser «l'Etat de Droit democratique» elle a
insiste â ce que l'Etat soit respectueux des Droits de
l'Homme, qu'il soit la'ique et qu'il tende d'une maniere
continue â atteindre le niveau de la «civilisation
contemporaine ».
Or, il
est advenu que la majorite parlementaire, issue des
elections generales, par consequent d'une procedure
concurencielle, s'ecartât des standards immuables et
provoquât un malaise tres difficilement reparable.
II
n'est pas dans le ton des pays de civilisation
contemporaine de tolerer la confrontation belliqueuse
des partis politiques, de les voir s'en venir aux mains,
s'affronter en bagarres. Malheureusement, ce fut ce qui
s'est produit au Parlement turc en Fevrier 1968.
On peut
penser que le fait peut etre considere comme endemique
et vulgaire et ne pas aller faire des deductions
generales. Celâ serait şans doute possible si les causes
meme des evenements n'etaient pas en relation directe
avec les standards constitutionnels et en particulier
avec le principe de la laîcite de l'Etat.
La
situation est tellement grave que le Chef de l'Etat
s'est cru oblige de traiter ce sujet dans son message du
9 Mars 1968. II parle, de la necessite urgente de
sauvegarder le principe de la laîcite du regime, de
respecter les lois de la reforme. II mentionne
l'apparition de divers sectes religieux poursuivant des
visees politiques. II fait remarquer que les courants
d'extreme droite ont pour but la creation de l'Etat du
Sheria (ententez canonique) et que les courants
d'extreme gauche beneficient a leur tour de cette
situation.
On voit
combien le principe du laîcisme a une signification
toute particuliere pour la Turquie.
La
Turquie est un etat neuf. Elle naquit dans les 1920.
Elle n'est pas une greffe sur l'organisme mort de
l'ancien Empire Ottoman. C'est un pays «futuriste»,
tourne vers l'avenir. De plus, c'est un pays reformiste
et evolutionniste. La tres grande majorite de sa
population est de croyance musulmane. Le pays savait par
experience dans le passe combien l'influence de la
religion dans les affaires publiques avait ete nefaste
pour l'Etat. L'accoutumance d'une telle ingerence avait
coûte la vie a un empire. L'İslam ne se prete pas a
l'evolution. il n'est pas seulement un systeme de foi
religieuse, mais il se pretend en meme temps constituer
la categorie des normes de la vie seculaire. Ses
preceptes etant figes dans le Livre Saint on ne peut les
adapter aux evenements courants. Ils ne peuvent etre mis
«up to date».
De la
provient une contradiotion irreductible.
La
nouvelle Turquie a ete fondee en consideration de cette
verite. Et, c'est pour cela que la lai'cite de l'Etat et
dans l'Etat fut la clef de voûte du nouvel edifice que
fut la Republique Turque.
L'Etat
repose sur deux hypotheses. Â savoir: la Republique et
le Laîcisme.
Depuis
le debut du pluralisme politique, debut datant de 1946,
un phenomene provoquant l'apparition d'un courant
reactionnaire se developpa de plus en plus. Ce courant a
pour but de mettre le pouvoir politique sous l'influence
des forces religieuses. C'est un courant qui a pour but
l'instauration d'un anti-lai'cisme malgre le standard
constitutionnel de l'Etat.
Un
mouvement reactionnaire se dessine tres nettement.
Le chef
du parti au pouvoir semble ne pas avoir conscience de la
gravite de la situation. Şans mettre en doute, ni
discuter leur sincerite et leur bonne foi, on peut tres
aisement dire que la plupart des responsables politiques
ont une fausse idee du principe de laicite.
Pour le
leader du parti au pouvoir les agissements
reactionnaires representent la manifestation de la
liberte de croyance. Le probleme se presente des lors â
un niveau tout â fait different. II s'agit de faire un
choix entre le principe de l'Etat laîque et la liberte
de conscience.
La
liberte de conscience proprement dite fait partie du
«domaine reserve» de l'individu. Nul ne saurait s'y
ingerer, y compris l'Etat et sous quelque pretexte que
ce soit.
On ne
peut rien dire contre cet argument.
Seulement, le leader du parti au pouvoir est en train de
confondre le loisir d'adherer a la croyance de
son choix, la liberte d'exercer son culte et la
necessite de ne pas laisser l'Etat s'influencer par
cette force etrangere qu'est la religion. Nier cette
necessite conduirait a la perte d'independance
par self-abandon. L'Etat turc ne peut rester
constitutionnel que si la religion n'a absolument aucun
effet dans la gestion et la marche des affaires de la
vie publique.
Revenons maintenant â la question que nous nous sommes
poses. Â savoir: si le pouvoir, legitime au debut,
continue â conserver sa legitimite durant la periode de
Legislature dans le cas oü il s'ecarte des principes
constitutionnels formant lâ base du systeme de l'Etat de
Droit.
İl ya
lâ, ainsi que nous l'avons signale, un point touchant
les Droits de l'Homme. Car la T u r q u i e est selon
l'article 2 de sa Constitution un «Etat fonde sur les
Droits de l'Homme». La secularisation de l'ensemble de
l'administration constitue l'une des garanties
principales des Droits de l'Homme.
II n'y
a pas de liberte, donc pas de Droits de l'Homme lâ oü il
y a contrainte.
Or,
l'îslam contraint l'individu â garder la eroyance pour
toujours. Le croyant musulman n'a pas le choix de credo,
il est force de vivre sa vie conformement aux regles de
la religion. Ces regles visent la vie fütur e de l'autre
monde.
Les
forces religieuses menent a l'heure actuelle une
campagne massive afin de transplanter leur influence
dans la vie politique. La majorite parlementaire
detentrice du pouvoir soutient ces agissements qui sont
manifestement contraires aux exigences du principe de la
laîcite de l'Etat. Afin de donner une explication
plausible de son comportement, le pouvoir se sert du
pretexte de neutralite de l'executif envers la eroyance
de l'individu.
De lâ
provient la crise portant les pires dangers. Les Droits
de l'Homme s'en trouvent direetement menaces. L'Etat
constitutionnellement «fonde sur les Droits de l'Homme»
et proclame «laique» afin que ces droits puissent etre
realises est virtuellement prive de l'une de ses
conditions essentielles tant que les elus s'ecartent du
cadre trace par la Constitution.
II
conviendrait â notre avis de constater qu'avant tout il
serait souhaitable que les systemes constitutionnels qui
ne l'ont pas encore fait, prennent pour base essentielle
les Droits de l'Homme; et qu'ensuite, que les systemes
qui l'ont dejâ fait, comme celui de la Turquie, veillent
â ce que les pouvoirs politiques ne derogent aux
standards adoptes et definis par la Constitution.
Afin de
pouvoir aboutir â ce dernier resultat, nous
souhaiterions que des mesures depassant les cadres
nationaux soient prises. En effet, toutes les garanties
^noncees par les constitutions et appliquees dans la vie
etatique restent inefficaces ou ne produisent pas les
effets desires. II est temps que la conception
vieillotte de (souverainete) soit sompletement
abartdonnee et cede la place â un concept plus
rationnel.
L'Homme
est une valeur üniverselle. II appartient au concert des
etats de veiller â ce que ses droits fondamentaux soient
respectes. Tous les etats, quels qu'ils soient, doivent
en quelque sorte etre sous la surveillance et le
contröle d'un certain mecanisme extra national pour la
sauvegarde effective des Droits de l'Homme.
Les
Etats doivent savoir que le systeme politique a la
mission de realiser les Droits de l'Homme. Et les
organes legislatifs â leur tour, doivent avoir
conscience du respect des normes constitutionnelles
propres a realiser la Primaute du Droit.
On voit
que nous avons besoin d'une audace revolutionnaire, d'un
nouvel ordre interatique dont la condition primordiale
serait l'introduction de nouveaux standards
constitutionnels propres â la creation de l'Etat de
Droit. Ces Etats devraient accepter l'intercalation
d'une volonte exterieure dans les cas oü les Droits de
l'Homme seraient sous la menace serieuse de
deperrissement par voie meme legislative dans la forme.
Le
systeme de la suprematie des traites et des engagements
internationaux s'est avere insuffisant. II conviendrait
par consequent d'essayer d'aboutir a des solutions
differentes.
Nous
pensons que la creation d'organe international avec
competence de faire injonction dans les cas de
derogation patente aux normes constitutionnelles
garantissant les Droits de l'Homme şerait d'une utilite
incontestable.
Tout
revient â assurer, non pas la creation d'un organe
competent pour une telle tâche; mais, et surtout, le
respect des entites etatiques aux injonctions de
l'organe qui serait constitue.
Nul
doute qu'on aura â faire â la resistance des
souverainetes des Etats. Souverainete comprise dans un
sens dejâ depasse depuis fort longtemps, mais qui
pourtant persiste encore un peu partout.
Les
developpements technologiques actuelles ont rendu la
souverainete de l'Etat un vain mot. II est meme
discutable de savoir si l'on peut encore parler de
l'independance des etats, de cette independance qui
constitue la condition de la souverainete de l'Etat. En
effet, la technologie, avec un grand (T) est
effectivement le monopole de deux pöles politiques
principaux. II existe deux centres de polarisation
capables d'engendrer les developpements technologiques
importants. Et tous les Etats font partie de l'une ou de
l'autre de ces plei'ades. Nous ne croyons pas
personnellement a l'existence d'etats d'une troisieme
categorie quel que soit le nom qu'on lui attribuerait.
Le
probleme se pose de savoir dans quelle mesure les deux
centres de polarisation peuvent etre rapproches dans une
conception commune des Droits de l'Homme. Si l'on peut
arriver â realiser ce rapprochement, le reste sera
relativement simple.
Voyons
pour cela quels sont les points d'eloignement. Disons
provisoirement que les deux centres de categorie de
prolarisation peuvent successivement revetir les
qualifications de (legalite individualiste) et de
(legalite socialiste).
Dans la
premiere la suprematie reşide dans la valeur de
l'individu en tant que ünite originelle. Dans la seconde
la priorite appartient au tout. Ce sont le particulier
et le general qui se confrontent.
Mais,
une constation s'impose: un demi siecle d'evolution a
demontre que ni l'un ni l'autre des systemes decoulant
des deux conceptions ne representait la verite ideale.
Les
deux systemes se sont vus obliges d'emprunter des
institutions l'un a l'autre. Du cöte de la categorie
(legalite individualiste) l'Etat a fini par se qualifier
de «social» â l'exemple de la categorie concurrente. Et,
du cote de la categorie (legalite socialiste) il a fallu
que la valeur de l'individu soit reconnue et consacree
selon le mode de la categorie opposee.
Voilâ
qui est rassurant. Voilâ qui prouve qu'il peut y avoir
des domaines communs. Les auteurs de la Declaration
Üniverselle des Droits de l'Homme l'ont bien vu et le
texte de la Declaration en fut en quelque sorte la
synthese. Mais, comme il se devait â l'epoque, ce fut
une synthese plutöt timide et meme pas assez clairement
definie.
Une
nouvelle solution peut cette fois sortir de ce que nous
appelerons «Interpolation Üniverselle des Droits de
l'Homme». Ce şerait la seconde phase dans le domaine de
la conquete de la dignite- humaine; la premiere etant
celle de la Declaration Üniverselle des Droits de
l'Homme, phase dejâ revolue.
«L'Interpolation Üniverselle des Droits de l'Homme»
consisterait en l'acceptation, non pas des valeurs
communes -puisque cela a dejâ ete faite avec la
Declaration Üniverselle- mais de la creation d'un
mecanisme üniversel investi de la competence de
decision. Les «constellations polaires» existantes
s'engageraient şans formüler de reserve a se conformer
aux suggestions conseillees. Le but de cette
interpolation şerait la sauvegarde de l'universalite de
la dignite humaine. L'Homme ne doit plus lutter contre
l'Etat pour atteindre ses libertes; mais ce doit etre
par contre l'Etat qui a constamment â veiller â la
sauvegarde des Droits de l'Homme. Celâ doit desormais
constituer l'une des fonctions principales du pouvoir.
L'auteur de ces lignes reconnaît la grande difficulte de
l'interpolation üniverselle. L'initiative mettra şans
doute en cause la conception meme de l'Etat. Mais, il
considere que la suggestion vaut d'etre avancee sous
forme de Resolution. II est meme convaincu que les
difficultes seront en grande partie ecartees puisqu'au
fond, â cote de la sauvegarde des Droits de l'Homme, les
Etats trouveront une garantie extra nationale des
fondements de leur propre constitution. Cette nouvelle
garantie sera elle meme constitutionnelle; car, toute
mesure tendant a la conservation des standards
constitutionnels est elle-meme conforme a la
Constitution, et dans une structure constitutionnelle
ayant pour but l'edification de l'Etat de Droit, les
mesures destinees â assurer les Droits de l'Homme ne
peuvent etre interpretees comme etant contraires a la
constitution. On pourrait souhaiter qu'il nous şerait
possible d'entrer de la sorte dans la nouvelle periode
des garanties extra nationales de la constitutionnalite
pour les pays d'Etat de Droit. Cette question de la
constitutionnalite avait pourtant ete jusqu'â present
une question d'ordre juridique interne.
Le
present resume n'a pas, comme on a pu le constater, la
pretention d'apporter des solutions definitives. II
souhaite tout simplement poser des problemes. Son auteur
porte la conviction que exposer les questions a grand
jour permet la preparation de leur solution future. Son
seul desir c'est de voir les entites politiques membres
du concert des Etats adopter la conception de la
Primaute du Droit, s'efforcer â la realisation serieuse
de cette Primaute, et par la â la sauvegarde effective
des Droits de l'Homme. II pense que ces resultats ne
peuvent etre atteints qu'â un niveau superieur au niveau
national et par une nouvelle conception de ce qu'est du
point de vue classique l'essence de ce que nous appelons
Etat. II faudrait, selon lui, garder indemne les
standards constitutionnels de l'Etat de Droit par des
nouvelles mesures sur le plan extra national tout en
mettant de cote les soit disant inquietudes pravenant de
la conception de souverainete etatique qui, en fait, est
depuis longtemps depassee.
Nous
avons tenter de montrer dans les lignes qui precedent un
des obstacles capitaux qui empeche la reconnaissance
effective et efficace des Droits de l'Homme: la non
observance par les gouvernants des normes regissant
l'Etat de Droit.
Notons
que pour les pays ou la Primaute de Droit est revetue
d'une valeur constitutionnelle, mais qui pourtant sont
en voie de developpement ou sous-developpes, la question
qui du point de vue pratique est la plus importante est
celle de faire demarrer la campagne d'education destinee
a faire comprendre le concept des Droits de l'Homme dans
le cadre des agglomerations inferieures. C'est, en
effet, par exemple, dans les hameaux ou dans les
villages qu'il s'agit de concentrer les efforts.
L'echelon departemental ou national ne peut etre atteint
que lorsque les petites unites administratives sont
conquises. Le respect des droits de l'homme depend des
comportements individuels qui sont les memes pour toutes
les communautes humaines. On pourrait les fixer et les
apprendre. Les agglomerations restreintes, peu peuplees,
relativement fermees se pretent mieux a la diffusion de
la connaissance. L'une des meilleures methodes consiste
â eveiller la conscience des petits groupes en leur
confiant le probleme de l'education relative aux Droits
de l'Homme comme etant leur Chose â eux, comme etant
leur propre chose.
Au
niveau national, la solution de l'Ombudsman ou du
Parliamentary High Commissioner est difficile â realiser
dans les pays şans longue tradition democratique.
D'autant plus que le succes de l'Ombudsman est lie dans
une certaine mesure â l'etendu du champ d'application de
ses competences. II faudrait, par consequent, passer par
le stade de l'education des petits groupements. Nous
pensons que des essais tres profitables peuvent etre
faits a l'occasion de l'Annee des Droits de
l'Homme.
Nous
nous permettrons de retourner encore une fois a
la Turquie. II y a la un exemple a suivre. La
Constitution Turque a proclame le «Droit de la
resistance â l'oppression» comme etant un Droit
collectif de l'Homme. D'apres le Preambule de cette
constitution le Droit de la resistance a l'oppression
est ne quand le pouvoir politique se rend illegitime par
ses agissements contraires au Droit. Nous voyons quant â
nous dans cette disposition une mesure efficace de
retenir le pouvoir politique dans les limites
constitutionnelles. Cette mesure doit etre completee par
des dispositions speciales relatives aux partis
politiques. Nous estimons que l'exemple fourni par la
Constitution de l'Allemagne Federale et suivi par celle
de la Turquie vaut la peine d'etre retenu: les partis
politiques sont constitutionnellement reconnus.
La
Constitution turque ajoute que les partis politiques
sont obliges de conformer leurs statuts, programmes et
activites aux principes de la Republique democratique et
laîque reposant sur les Droit et Libertes de l'Homme
sous peine d'etre dissous par la Cour Constitutionnelle.
Une
disposition similaire regit l'activite des groupes
formes en associations. Ces groupes sont interdits
d'xploiter la religion ou les preceptes religieux dans
le but d'influencer l'ordre social, economique,
politique ou juridique de l'Etat.
Un cote
tres important de notre sujet sur lequel nous devrions
nous pencher est celui de l'influence des progres et
avancements technologiques sur les Droits de l'Homme.
Nous ne
croyons pas que les progres de la technologie presentent
un danger pour l'avenir de la liberte. Le danger
naîtrait plutöt du developpement et de la preponderence
de . la «technocratie». Cette derniere şerait capalble
d'enrayer le gouvernement democratique. Elle possederait
tous les pouvoirs şans encourir de responsabilites. İl y
aurait la un cas analogue â celui engendre par
l'ingerence de la religion dans la vie politique. İl
viendrait de prime abord â l'idee de bannir la
technologie de la vie de l'Etat â l'exemple du
bannissement de la religion. Mais, ce şerait une
solution trop simpliste. Car, la raison pour laquelle la
religion est ecartee du domaine de la politique est que,
celle-ci empeche les evolutions vers une meilleure vie
de çite, qu'elle est fermee aux nouveautes. Or, la
situation est inversee avec la technologie. Le regime
democratique pourra au contraire en profiter. Seulement,
il ne faudrait pas que la technlogie s'impose a travers
des elements humains formant une equipe de specialistes
s'arrogeant le droit effectif de prendre des decisions
politiques. Du reste, l'influence de la technologie sera
benefique pour les differents pays. Elle servira a
niveller leur mode de vie et par la süite, leur
entendement et leur comprehension.
Ce qui
semblerait sujet a inquietude şerait l'eventualite de la
destruction ou plutöt, du deperissement des valeurs
culturelles traditionnelles.
Nous
pensons que dans ce domaine il existe une loi qui
fonctionne en sens inverse de la loi de Gresham. Ce
n'est pas le mauvais qui chasse le bon; mais, au
contraire, le meilleur qui force le moins bon a
dispara'itre. Si une culture existante conserve une
valeur intrinseque qui fait qu'elle subsiste, rien ne
l'empechera de durer. Si une culture nouvelle,
superieure a l'ancienne fait son apparition, le passe
sera balaye. II s'agirait, non pas de proteger coûte que
coûte l'ancienne culture, mais de conserver des vestiges
et des traces de celle-ci afin que l'histoire de la
civilisation ne soit pas entrecoupee.
 notre
avis, la civilisation technologique est un fait. C'est
un fait scientifique aussi bien que positif. Nous dirons
meme que c'est un fait radical. Rien ne resiste devant
les nouveautes technologiques. II n'y a pas moyen de
lutter avec. Les armes sont trop inegales. La
technologie moderne est condamnee â gagner. Elle est une
nouvelle habitude, et l'Homme a toujours ete un peu
esclave de ses habitudes. II y aura bien des abus, il y
aura peut-etre des souffrances. Mais, la technologie
apportera aussi ses innombrables bienfaits.
Nous
sommes au seuil d'une ere nouvelle pleine d'espoir.
Tâchons tout simplement de faire face aux dangers reels
et de les ecarter. La parole est aux specialistes.
Quant a
la technocratie, elle marquera l'avenement d'une
nouvelle classe de gouvernants â la maniere des sages de
la Grece Antique. İl est possible que les methodes de
gouverner soient ameliorees. Ce â quoi il convient de
porter une attention particuliere, c'est qu'il n'y ait
pas atteinte aux Droits de l'Homme. Et, pour cela il
faudrait que les gouvernants, quels qu'ils soient,
respectent les standards constitutionnels de l'Etat de
Droit.
Yıl 1969 Cilt 26 Sayı 3-4, Sayfa: 31-44
Professeur â la Faculte de Droit d'Ankara, Doyen
de la Faculte d'education, Departement des
Droits de 1'Homme.
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